Les visages foudroyants de Stricher.

C’est à Vetheuil dans un ancien moulin entre la forêt et les méandres de la Seine que Gérard Stricher a installé son atelier il y a maintenant une dizaine d’années. Le site a nourri depuis longtemps l’inspiration des peintres depuis Claude Monet qui immortalisa son clocher jusqu’à Joan Michell et Riopelle qui y demeurèrent aussi. Dans le calme apaisant de ce petit village français, Gerard Stricher compose sa peinture tellurique et charnelle faite de tremblements de couleurs, de frénésies expressionnistes, d’automatismes violents. C’est là qu’il redevient cet enfant sauvage qui courrait dans l’herbe, pêchait dans les ruisseaux et tutoyait le soleil. Ici il retrouve une pureté perdue et donne naissance à ses masques, héritiers d’une troublante genèse originelle. A grands coups de giclures énergiques, il abreuve sa soif et son appétit d’intensité dans ses tableaux. Pour étancher son besoin de création inextinguible il opère comme une fusion avec la terre, la lave et l’océan dans des figures humaines à la fureur véritablement cosmique et tellurique. Dans un bombardement chaotique il jette directement ses couleurs sur la toile, les ballait, les frotte, les gratte à main nue puis les rehausse par des signes gravés au bâton d’huile. Alors apparaît et surgit des ténèbres du tableau une vie éclatante de corps en contorsion et de visages aux regards foudroyants. De ce libre égarement pictural naissent des prairies de corps, des figures violentes et hiératiques qui animent la surface du tableau. L’artiste jongle avec le jaune brûlant du soleil, le vert de la vie palpitante, le bleu des vagues océanes, le rouge du sang qui régénère et avec sa peinture comme en fusion il suggère une effusion, une étreinte physique faite de tendresse aussi bien que de brutalité. L’artiste semble se servir de la peinture pour donner vie à des personnages inquiétants : guerriers, chamans, sorciers… Une énergie communicative se dégage des œuvres et déchire les peaux boursoufflées de ces effigies de carnaval pour nous engloutir dans les palpitations de la couleur et donner l’intuition d’un chaos initial. Pourtant Stricher demeure un peintre de la générosité plus que de la violence pure. Sa main, quand elle s’empare de la matière dégage aussi une chaleur dont le caractère onctueux provoque un plaisir tactile proche de la douceur d’une caresse. Alors, ses personnages semblent nous faire part de leur étonnement devant le monde avec leurs grands yeux qui scintillent comme des météores. Ils chantent la vie de façon haletante le temps du tremblement de leurs rêves bariolés.

Renaud Faroux, Historien d’art. Paris février 2015.